22 septembre 2014 :
Discours de Son Excellence Monsieur Kenjiro MONJI, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Délégué permanent du Japon auprès de l’UNESCO sur la Diplomatie culturelle japonaise lors du séminaire sur «Le Rôle de la Diplomatie culturelle dans les pays francophones» à l’Assemblée nationale, Paris
"C’est un grand honneur pour moi de prendre part à ce Séminaire sur «Le Rôle de la Diplomatie culturelle dans les pays francophones», et de m’exprimer en cette prestigieuse enceinte qu’est l’Assemblée Nationale. En ma qualité d’Ambassadeur du Japon auprès de l’UNESCO, je suis particulièrement heureux de traiter du thème de la Diplomatie culturelle japonaise.
Ma présentation s’articulera autour des cinq points suivants :
- La Diplomatie publique du Japon
- Le « soft power » japonais
- La Diplomatie de la culture pop comme une illustration de la diplomatie publique
- L’Initiative « Cool Japan »
- Les Relations entre le Japon et les pays francophones
J’ai, en fait, longuement hésité entre le français et l’anglais pour mon intervention. Cependant, après le discours de Madame Alliot Marie, et malgré les difficultés dues à une absence de pratique de près de 35 ans, je suis finalement satisfait de prendre la parole moi-aussi en français.
I La Diplomatie publique du Japon
Laissez-moi d’abord expliquer pourquoi j’emploie le terme de diplomatie publique et non diplomatie culturelle. L’introduction de ce concept dans la diplomatie japonaise date de 2004. Il est la résultante de la fusion par le Ministère japonais des Affaires étrangères de ses services des relations publiques, des échanges culturels et de la coopération culturelle. Il est difficile de trouver l’équivalent de ce terme en français. On parle souvent de diplomatie de rayonnement. Mais c’est le terme de diplomatie publique que j’emploierai dans mon intervention.
L’objectif de la diplomatie publique est de permettre aux autres pays de se familiariser avec le Japon, et de valoriser l’image du Japon à l’étranger. Alors que la diplomatie est habituellement une prérogative exclusive de l’état qui s’exerce entre les gouvernements, la mise en œuvre de la diplomatie publique se fait en étroite collaboration avec le secteur privé, et le gouvernement s’adresse directement aux citoyens des autres pays.
Cependant, il n’est pas approprié de considérer la diplomatie publique seulement comme une compétition des images entre pays. Pour mieux faire connaître le Japon, nous devons comprendre nos interlocuteurs plus en profondeur. C’est par ce processus de communication à deux sens que progresse la compréhension mutuelle des cultures différentes.
En raison de la mondialisation et du développement des technologies de l’information, l’influence de l’opinion publique dans la définition de la politique étrangère est de plus en plus forte dans de nombreux pays. Dans le même temps, et bien que l’on puisse constater la reprise récente de l’économie japonaise, l’image du Japon dans le monde est en relatif déclin après deux décennies de stagnation, et face à l’importance grandissante des pays émergents.
Cependant, des sondages d’opinion conduits par le service international de la BBC ont montré que le Japon se maintenait dans le haut du classement des pays dont l’influence sur le reste du monde est considérée comme positive. Le Japon continue donc à maintenir une bonne image dans le monde.
Les principaux outils sur lesquels se fondent la mise en œuvre de la diplomatie publique du Japon sont la diffusion d’informations concernant le Japon en général ou des questions plus spécifiques, l’organisation d’évènements culturels, la mise en place de programmes d’invitation, de coopération intellectuelle, d’échanges d’étudiants ou de professeurs, la promotion de l’enseignement de la langue japonaise, la coopération et l’assistance culturelles internationales…
Les acteurs principaux de la diplomatie publique sont le Ministère des Affaires étrangères (MOFA), le Ministère chargé de l’Enseignement et de la Culture, et son Agence des Affaires culturelles, le Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (METI), l’Agence du Tourisme, la Fondation du Japon, le JICA, la JETRO, les collectivités locales et autres. Le secteur privé joue également un rôle important dans la mise en œuvre de mesures et de programmes concrets dans différents domaines.
Par conséquent, il est important de promouvoir la coopération entre les différentes instances gouvernementales, et entre le gouvernement et le secteur privé.
II Le « Soft power » japonais
Le Japon a récemment initié un renforcement de sa politique du « soft power ». Je suis sûr que nombreux sont ceux qui parmi vous ont entendu parler des concepts du soft power, du hard power ou même du smart power. Les sources du « soft power » sont la culture, la valeur, la politique, etc., il s’exerce principalement au sein du secteur privé, son effet est indirect et prend du temps pour apparaître au contraire du « hard power ». Le « soft power » est important, mais il ne peut supplanter le « hard power ». Je ne traiterai pas de ce sujet en détail.
C’est non sans un certain étonnement que j’ai pris conscience de la force du « soft power » lors de mon séjour en Irak au poste d’Ambassadeur de 2007 à 2008. En effet, avant ma mission, je considérais que c’était la force militaire ou « hard power » qui prenait le pas sur tout le reste alors que ce n’était pas tout à fait le cas.
Le Japon jouit d’une bonne réputation en Irak, réputation qui se fonde sur les excellentes relations bilatérales existant traditionnellement entre les deux pays ainsi que sur l’aide humanitaire et à la reconstruction que nous apportons. Je dois avouer que cette bonne réputation a grandement facilité mes responsabilités d’Ambassadeur.
Laissez-moi citer un autre exemple de « soft power » en Irak. « Ana ismi Monji » en arabe veut dire « Je m’appelle Monji ». Chaque fois que je me présentais en prononçant ces paroles, on m’accueillait chaleureusement comme l’Ambassadeur–Sauveur, le mot « Monji » signifiant « sauveur » en arabe.
Je pense qu’il convient de développer plus largement le concept de « soft power », non seulement par l’intermédiaire de la culture ou des valeurs universelles mais aussi grâce aux valeurs et au mode de vie traditionnels japonais tels que « l’esprit d’harmonie » et « la coexistence avec la nature ». Les notions de « tolérance » et de « diversité » que je cite pour décrire les caractéristiques de la culture japonaise doivent également être prises en compte, car je suis convaincu que ces valeurs sont primordiales dans le monde d’aujourd’hui plus que jamais auparavant.
Le Japon a par exemple mis en place des mesures d’économie d’énergie et de protection environnementale en s’appuyant sur une technologie solide, qui peut être considérée comme l’incarnation des valeurs et du mode de vie du pays. Ainsi, le Japon tente aujourd’hui de faire face au vieillissement de sa population en utilisant la technologie à sa disposition, notamment les robots. Grâce à un costume robotisé, même une frêle infirmière peut réussir à porter un patient très lourd. C’est un monde où les « animé» du Robot Gundam ou d’Evangelion deviennent réalité. Si le Japon parvenait à proposer à tous les pays du monde des solutions leur permettant de faire face aux défis auxquels ils seront un jour confrontés, ceci constituerait une grande réussite pour la politique japonaise du « soft power ».
III La Culture Pop comme une illustration de la Diplomatie publique du Japon
Ces dernières années, le MOFA a tiré avantage de la popularité internationale de la culture pop, comme les mangas (bandes-dessinées) et les « animé» (dessins animés), qui sont un outil pour la diplomatie publique. Ceci est dû au fait que la culture pop japonaise suscite beaucoup d’intérêt à l’étranger et a la capacité d’attirer un large public.
L’organisation de « Japan Expo » à Paris constitue une excellente illustration de ce phénomène. En juillet dernier, en seulement 4 jours et demi, « Japan Expo » a réuni plus de 250 000 fans du Japon. Il y a aujourd’hui dans le monde plus de 200 manifestations de ce type qui attirent chacune plus de 10 000 visiteurs. Certaines d’entre elles réunissent plus de 100 000 personnes, notamment en Europe et en Amérique du Nord.
Il est vrai que les «manga» et les «animé» sont les éléments principaux de la culture pop japonaise. En 2007, le MOFA a établi « Le Prix Manga International ». Puis, en 2008, un personnage très populaire de l’ «animé», « Doraemon » (un chat-robot qui vient du futur), a été désigné Ambassadeur de l’ «animé» par le Ministre des Affaires étrangères, et l’ «animé» de« Doraemon », sous-titré en 5 langues, a été projeté 170 fois dans 80 villes dans le monde. C’est au Laos, devant l’immense intérêt des enfants pour le film diffusé pourtant sans sous-titres en laotien, que j’ai pris pleinement conscience du pouvoir de communication de l’ «animé». Je souhaite mentionner ici qu’un «animé» est un film d’animation japonais. Miyazaki réalise donc de l’«animé», alors que Disney fait de l’animation.
L’intérêt des fans pour les «manga» ou l’ «animé» a en fait poussé un grand nombre d’entre eux à apprendre le japonais. Certains dans le but de regarder leur «animé» favori sans doublage, d’autres pour lire le prochain tome de leur manga sans être obligé d’attendre la traduction.
Le langage constitue un élément majeur d’une culture, et l’apprentissage du japonais par un nombre croissant d’étrangers ne peut être que très bénéfique pour le Japon. 4 millions de personnes environ étudient le japonais dans le monde, et l’enseignement de la langue japonaise est un des piliers de notre diplomatie publique. Dans ce contexte, le Japon a beaucoup à apprendre de la France qui accorde une importance particulière à l’enseignement de la langue française dans le monde.
Cos-Play est l’abréviation de « costume play-dressing », activité consistant à se costumer en personnage de fiction (manga, anime ou jeux vidéo). Depuis 1999, le Sommet international du Cos-play se tient annuellement à Nagoya et a réuni pas moins de 22 pays en 2014. Le MOFA, qui fait partie du Comité d’organisation, remet au gagnant le Prix du Ministre des Affaires étrangères.
Lors de différentes manifestations sur le Japon, j’ai été frappé par le fait que des jeunes filles étrangères imitaient le style vestimentaire des jeunes japonaises (par exemple, le style lolita avec beaucoup de dentelle, ou l’uniforme de lycéenne). J’ai alors décidé de confier à trois jeunes icônes de la mode une mission d’Ambassadrices chargées de la promotion du « Kawaïi », dont la traduction la plus proche en français est « mignon». « Kawaïi» apporte une connotation japonaise. Snoopy est mignon et Hello Kitty est « Kawaïi ». La mission des Ambassadrices du « Kawaïi » les a menées dans de nombreux pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la Corée, la Thaïlande, le Brésil, etc. et, partout, elles ont reçu un accueil chaleureux. A Recife, au Brésil, 20 000 personnes se sont réunies pour le Fashion Show des Ambassadrices du « Kawaii ». En Thaïlande un lycée de filles qui a créé des uniformes inspirés d’un « animé » japonais, a vu le nombre de candidatures d’entrée dans son établissement multiplié par 8.
La diplomatie de la culture pop reçoit généralement un accueil favorable mais suscite aussi parfois quelques critiques. Certains sont ainsi d’avis que la pop culture ne doit être soumise à aucune autorité et ne doit bénéficier d’aucun soutien gouvernemental. D’autres pensent que la culture pop n’est rien d’autre qu’une sous-culture qui, à ce titre, n’a pas à être soutenue par des fonds publics. Ma réponse à la première critique est que le MOFA n’apporte pas son soutien aux industries de la culture pop. Elles n’ont pas besoin de notre aide. Au contraire, c’est nous qui souhaitons bénéficier des retombées positives générées par leur très grand pouvoir de séduction. En effet la culture pop peut être considérée comme une porte d’entrée vers la culture japonaise dans son ensemble.
Pour répondre au second argument, je dirais que la culture s’exprime et s’apprécie dans ses différentes composantes au sein desquelles les notions de supériorité ou d’infériorité n’ont pas lieu d’être. Je souhaite à cet égard rappeler qu’au moment de leur création, le Kabuki et l’Ukiyoe appartenait à la culture pop.
IV La Stratégie du « Cool Japan »
Alors que le MOFA faisait usage du « soft power » et de la culture pop pour promouvoir l’image du Japon, j’ai mené des discussions avec d’autres ministères pour que le « soft power » puisse, grâce aux entreprises, constituer aussi un réel pouvoir économique.
Aujourd’hui, le Gouvernement japonais dans son ensemble met en place l’Initiative « Cool Japan » avec pour objectif la croissance de l’économie japonaise grâce à la relance des entreprises et à la création d’emploi en se fondant sur le dynamisme de la demande internationale. Dans ce but, nous devons tirer profit de l’intérêt international envers la culture japonaise et envers les valeurs et le mode de vie qu’elle représente, ainsi que de l’attrait suscité par des secteurs comme la mode, la gastronomie, le logement ou ce que l’on appelle les industries de « contents » telles que l’ « animé », les séries télévisées, la musique, etc., en les transformant en produits à forte valeur ajoutée. Le fonds « Cool Japan » a été créé grâce à des aides publiques et à des subventions provenant du secteur privé afin de soutenir des entreprises japonaises investissant à l’étranger, particulièrement dans le domaine culturel. L’Initiative « Cool Japan » prévoit également de promouvoir le tourisme avec l’objectif d’attirer plus de visiteurs étrangers au Japon.
Dans ce contexte, je souhaite présenter deux des domaines prioritaires de cette initiative que sont la cuisine japonaise et le saké.
Le Washoku (cuisine japonaise traditionnelle) qui a été inscrit sur la Liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en décembre dernier, est aujourd’hui populaire dans le monde entier. Nous sommes fiers de notre Washoku tout comme le sont les français de leur gastronomie, elle-aussi déjà inscrite sur la Liste du Patrimoine culturel immatériel. Les japonais apprécient beaucoup les cuisines du monde et le Japon est le pays qui compte le plus grands nombre de restaurants étoilés au Michelin.
Le saké, une boisson alcoolisée à base de riz fermenté, accompagne à la perfection les saveurs du Washoku, mais s’harmonise aussi très bien avec la cuisine occidentale y compris la cuisine française. Et je suis fier d’être l’un des 48 Saké Samurais. Ce titre est décerné par l’Association des Producteurs de Saké pour distinguer des personnes engagées dans des actions de promotion du Saké. En France, vous avez les Chevaliers de Tastevin, au Japon, nous avons les Saké Samourais.
J’espère que vous aurez un jour l’opportunité de découvrir la diversité de la culture japonaise dont le large spectre s’étend de l’art traditionnel à la culture pop.
V Les Relations entre le Japon et les pays francophones (OIF)
Bien qu’excellentes, les relations entre le Japon et les pays francophones, peuvent encore se renforcer.
Il convient tout d’abord de mentionner qu’en mai 2008, à l’occasion de la TICAD IV, un document commun concernant la coopération entre le Gouvernement du Japon et l’Organisation internationale de la Francophonie a été signé. L’objectif de ce document était de renforcer le dialogue et la coopération entre le Japon et l’OIF, sur la base d’une recherche de complémentarité et de synergie afin de donner une réelle valeur ajoutée à leurs actions respectives.
C’est ensuite en mai 2010, à Tokyo, que 23 représentations officielles de pays membres de l’OIF ainsi qu’une dizaine d’associations francophones basées au Japon se sont réunies pour le lancement officiel du Conseil de Promotion de la Francophonie. Ce Conseil a pour objectif de faire de la francophonie un outil de défense de la diversité linguistique et culturelle, dans un monde où ces valeurs sont menacées.
Le Conseil a depuis cette date organisé de nombreuses journées de découverte de la Francophonie avec notamment des activités culturelles dans les lycées et les universités.
Je souhaite qu’à l’avenir, l’accent soit mis sur le renforcement des relations entre l’OIF et le Japon, particulièrement dans le domaine de la culture, de l’économie et de la diplomatie.
Je vous remercie de votre attention."
(fin du discours)
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